L’attachement

Le concept

Bowlby, grand adepte des travaux de Charles Darwin, adhère à l’hypothèse de la sélection naturelle. Celle-ci suppose que les espèces résistantes au travers des millénaires sont celles dotées des schémas de comportement les plus « biologiquement avantageux », c’est-à-dire de ceux qui permettent de s’adapter au milieu naturel de façon optimale. En se référant à des observations faites sur le règne animal, Bowlby (1957) veut apporter la preuve que l’existence de certains stimuli environnementaux ont un impact sur la mise en place et le fonctionnement de certains comportements auxquels une espèce est prédisposée.

Bowlby (1957), ayant par ailleurs constaté le recours de nombreuses espèces animales aux cris ou aux pleurs pour attirer l’attention de leur mère, est de plus en plus conforté dans l’idée que le besoin de proximité constitue une nécessité différente du besoin d’être nourri. Il se met alors en quête de repérer les différents comportements dans l’espèce humaine visant à promouvoir l’attachement.

Les comportements d’attachement rassemblent tous les comportements dont la finalité est de favoriser la proximité avec la figure d’attachement privilégiée. Bien que Bowlby se réfère souvent à la mère, il précise que cette figure peut être « toute personne engagée dans une relation durable et qui fournit des soins à l’enfant » (Bowlby, 1969). Cette proximité est supposée nécessaire pour donner à l’enfant réconfort et protection et favoriser la survie de l’espèce. Ces comportements évoluent en fonction du stade de développement de l’enfant. On retrouve dès la naissance des comportements de signalisation tels que le sourire ou la vocalisation qui indiquent à la mère l’intérêt de son enfant pour l’interaction. Des comportements de nature aversive, comme les pleurs, incitent par ailleurs la mère à se rapprocher de son enfant et à effectuer des actes pour y mettre fin. Plus tard, l’enfant en acquérant des capacités motrices affiche également des comportements actifs tels que s’approcher, s’agripper ou suivre sa mère. Ces agissements permettent à l’enfant de réguler lui-même la distance avec sa figure d’attachement en fonction de ses besoins de sécurité (Guedeney, 2002).

Un enfant doit explorer son environnement afin de le maîtriser. Si certains stimuli lui apparaissent inquiétants mais sans être trop hostiles, ils vont susciter une certaine curiosité et l’encourager à se dégager d’une proximité permanente avec sa mère.

L’activation du système d’exploration est possible que si celui de l’attachement est désactivé. Pour cela l’enfant doit se sentir en sécurité. (Miljkovitch, 2001). De même, si les comportements d’attachement restent longuement et fortement activés (par exemple l’indisponibilité de l’adulte, normalement source de réconfort), cette activation va être génératrice d’anxiété et limiter d’autant l’exploration.

On peut donc légitimement penser que si l’attachement a, à la fois une fonction de protection et une fonction d’exploration, il va « servir l’autonomie de l’individu et non sa dépendance », comme certains ont pu le présupposer (Pierrehumbert, 2003). Ces facteurs d’activation ou de désactivation sont bien évidemment à concevoir en fonction de l’âge développemental de l’enfant : un enfant âgé de 3 ans n’activera pas son système d’attachement pour un même stimulus qu’un enfant d’un an. Un comportement pourra être substitué par un autre pour remplir une même fonction : par exemple, le regard visuel remplacera la proximité physique effective.

Bowlby propose également que le comportement de la figure d’attachement soit organisé par un système comportemental nommé « caregiving » (George et al., 1999). Des recherches sur la notion de caregiving ont permis d’analyser ce qui se passait au niveau psychique lors des échanges relationnels et affectifs. George et al. (1999) décrivent la capacité d’une figure parentale à donner des soins et à s’occuper d’un plus petit que soi. Ce système constitue le système réciproque du système d’attachement et évolue en parallèle de celui-ci. Son but est de promouvoir la protection de l’enfant. Son activation est déterminée par des indices internes ou externes de situations perçues par le parent comme dangereuses ou effrayantes pour l’enfant.

Le système est désactivé par la proximité physique ou psychologique ainsi que par des signaux indiquant que l’enfant est à nouveau en situation de sécurité et/ou de confort. Sa régulation est par ailleurs associée à des émotions fortes mobilisées chez le caregiver. Une fois activé, ce système va mobiliser tout un répertoire de réponses comportementales telles que rechercher, suivre, regarder, appeler, se déplacer, porter. La réponse comportementale sélectionnée par la figure d’attachement va dépendre à la fois des signaux émis par l’enfant et de sa propre perception du danger. D’autres chercheurs ont également montré l’existence d’un besoin tactile et l’impact sur le développement des soins affectifs (Spitz, 1968; Harry Harlow, 1958).

La théorie de l’attachement a bien décrit cette compétence particulière des adultes à être sensibles aux signaux de l’enfant, à les interpréter et à y répondre de façon adéquate. Cette compétence, selon la théorie, varie d’un individu à l’autre et elle se construit vraisemblablement déjà au cours des expériences faites durant l’enfance. Or celle-ci est aussi bien présente chez le père, que chez la mère (Lamb, 1996). Contrairement à Bowlby (1973), Lamb (1996) constate que le bébé ne présente pas davantage de recherche de proximité avec la mère qu’avec le père. Pour Lamb (1996), le père est, d’un point de vue constitutif, biologique, aussi bien prédisposé que la mère pour réagir et répondre à un bébé. Ainsi, pour certains auteurs, l’enfant semble pouvoir disposer de plusieurs figures d’attachement qu’il hiérarchise en fonction de ce qu’il obtient, dans la relation à chacune d’elles, en matière de soins, de sécurisation et de protection, et qu’il utilise de manière indépendante (Lamb & Sutton- Smith, 1982 ; Crittenden, 1990).

Mary Ainsworth (1978), proche collaboratrice de Bowlby, va se montrer également déterminante dans l’essor de cette théorie. C’est à elle que l’on doit la notion de « base de sécurité » pour signifier qu’un individu, quel que soit son âge, explore davantage son environnement s’il sait qu’il peut compter sur une figure de soutien protectrice, accessible et disponible. Nous pouvons d’ailleurs rappeler qu’Harlow, dans ses recherches sur les singes rhésus, avait déjà mis en évidence ce mouvement de balancier entre la proximité du substitut et l’exploration. Il s’était en effet aperçu que les jeunes macaques exploraient davantage les objets nouveaux s’ils avaient pu auparavant atténuer leurs craintes en se réfugiant auprès du substitut en tissu. A l’inverse, si le substitut était absent, les jeunes macaques avaient tendance à rester figés, dans une attitude de prostration (Harlow, 1958).

Le paradigme de la situation étrange d’Ainsworth (1978) consiste en l’observation du comportement de l’enfant lors des retrouvailles avec sa figure d’attachement suite au départ de celle-ci. Ainsi elle décrit différents types d’attachement dans ses travaux (1978).

L’attachement

Les styles d’attachement

En premier lieu, Ainsworth (1978) a développé avec ses collaborateurs une théorie : celle basée sur la situation étrange, également, dans le but de déterminer les modalités d’attachement de l’enfant.

Elle consiste à étudier, dans le cadre d’un protocole de recherche, des enfants âgés de 12 à 18 mois en interaction avec une figure parentale. Le scénario, d’une vingtaine de minutes, met en scène des séquences de séparations et de retrouvailles entre la mère et l’enfant, dans un lieu inconnu et en présence d’une personne étrangère. Ce sont les réactions de l’enfant, induites par l’activation expérimentale des comportements d’attachement qui sont observées et codées, avec une attention toute particulière portée au moment des retrouvailles.

Ainsworth a relevé 3 patterns de comportement qu’elle catégorise en terme de « patterns d’attachement » (A,B,C) selon que l’enfant recherche ou non sa mère pour se rassurer lorsqu’elle est absente, et qu’ensuite elle redevient ou non une base sécurisante qui lui donne la possibilité d’explorer l’environnement.

L’attachement sécure

L’enfant ayant un type d’attachement dit « sécure » (groupe B dans la situation étrange) peut protester lors de la séparation mais accueille le parent à son retour avec une expression de soulagement, assortie d’une recherche de proximité. Ce contact, sans résistance, lui permet ensuite de repartir explorer tranquillement.

Quatre sous-groupes (B1, B2, B3 et B4) sont distingués suivant une progression allant d’une recherche de contact plutôt de façon distante avec un peu d’évitement, à une recherche de contact physique s’accompagnant parfois de signes de détresse. Le bébé veut soit la proximité et le contact avec sa mère ou l’interaction avec elle, et il la cherche activement. Pendant l’absence de sa mère, il peut être réconforté par un étranger mais il est clair qu’il veut sa mère.

Un style d’attachement sécure est également lié à un réajustement des connaissances de base suite à de nouvelles expériences ou constatations (Mikulincer, 1997; Mikulincer & Arad, 1999).
L’attachement de type sécure est associé à une plus grande flexibilité cognitive (Kobak & al. 1993). En effet, les sujets ayant un style d’attachement de type sécure seraient plus à même d’utiliser à la fois leurs ressources intra personnelles et interpersonnelles dans le but de s’apaiser et /ou de réguler des affects négatifs. Il existe des preuves solides selon lesquelles la sécurité de l’attachement est associée à une recherche de soutien efficace (Mikulincer & Shaver, 2007). Les individus sécurisés sont également en mesure de réguler intérieurement les émotions grâce à des stratégies d’adaptation telles que la planification et la réévaluation cognitive (Mikulincer & Shaver, 2007).

L’attachement de type anxieux – évitant

L’enfant ayant un type d’attachement dit « insécure -évitant » (groupe A) donne l’impression de ne pas être affecté par le départ du parent et continue à se focaliser sur l’environnement malgré la situation de détresse. Il donne ainsi une impression d’indépendance, explorant le nouvel environnement sans devoir utiliser le parent comme « base sécurisante ». Il ignore ou évite le parent à son retour et peut se montrer facile de contact avec la personne étrangère. On distingue deux sous-groupes (A1 et A2) suivant que l’enfant évite beaucoup sa mère ou la recherche un peu.

Pour Ainsworth qui a observé ces enfants à domicile, ils sont en réalité loin d’être indépendants et se montrent beaucoup plus colériques, difficiles, supportant mal la séparation. Tout se passe comme si, lors de cette situation d’observation, ces enfants répriment leurs émotions et leur besoin de réconfort (Pierrehumbert, 2003). D’autres études ultérieures sont venues renforcer son hypothèse : il a été notamment mis en évidence que ces enfants, qui ne montrent pas d’anxiété en apparence, présentent des taux de cortisol salivaire qui restent élevés beaucoup plus longtemps que chez les enfants ayant un type d’attachement dit « sécure » (Nachmias et al., 1996).

Un style d’attachement insécure évitant interfère avec la réception d’un soutien satisfaisant, la gestion des émotions et le choix des stratégies d’adaptation après l’exposition à un stress et augmente le risque de séquelles à long terme, alors qu’un style de fixation sécurisé offre une certaine protection contre les séquelles à long terme d’une source de  stress (Simeon et al. 2007; Mikulincer & Shaver, 2007).

L’attachement de type anxieux -ambivalent

L’enfant ayant un type d’attachement dit «anxieux/ ambivalent » (groupe C) se montre perturbé par la séparation mais adopte ensuite, au moment des retrouvailles, une attitude ambivalente dans laquelle sont mêlées recherche de contact et résistance au parent. Cette résistance apparaît comme l’expression d’une colère ressentie contre le parent. Ces enfants, qui se remettent péniblement de leur angoisse de séparation, sont beaucoup plus en difficulté que les autres pour à nouveau explorer leur environnement. Deux sous-groupes sont distingués (C1 et C2) suivant que l’enfant résiste quand le parent le prend ou reste plutôt passif. Cette catégorisation a été l’objet de vives critiques surtout concernant le groupe A.

L’attachement désorganisé

Ce quatrième groupe d’enfants (groupe D) a été décrit beaucoup plus récemment par l’équipe de Main (Main et al., 1985) : l’attachement « désorganisé ou désorienté ». Ce groupe correspond à des enfants qui, soumis à la situation étrange, présentent des comportements atypiques et ne rentrent véritablement dans aucune des 3 catégories proposées par Ainsworth (cannot classify). Ce groupe représente environ 15% des enfants. Mary Main a décelé chez eux des particularités communes, notamment des comportements contradictoires ou incompréhensibles (simultanément ou dans leur succession) et des indices de stress ou des signes de peur de la figure d’attachement. Elle a donc supposé que leurs stratégies habituelles sont tenues en échec lors de cette mise en situation protocolaire et que cela doit leur rappeler une expérience qui les a plongés dans une confusion. En d’autres termes, son hypothèse suggère qu’un enfant confronté à cette expérience spécifique (qui peut lui rappeler par exemple une expérience traumatique) ne peut utiliser sa figure comme base de sécurité car celle-ci soit lui fait peur, soit répond à son anxiété en y ajoutant la sienne ce qui suscite chez lui une inquiétude accrue et l’empêche de désactiver son système d’attachement par ses stratégies habituelles. L’enfant se retrouve alors dans une situation paradoxale, que l’on peut qualifier aussi de « conflit d’attachement », car le parent censé être une source de sécurité joue de façon inattendue, le rôle de stimulus d’alarme. L’émergence dans ce contexte de comportements contradictoires, incohérents, s’explique alors par l’effondrement des stratégies comportementales habituellement déclenchées par la peur : l’enfant ne peut en effet ni s’approcher du parent (stratégies sécures ou ambivalentes), ni détourner son attention en raison du danger ressenti (stratégie évitante), ni fuir, étant donné qu’il n’a nulle part où aller (Main, 1990).

L’attachement est défini comme un équilibre entre les comportements d’attachement envers les figures parentales et les comportements d’exploration du milieu. Selon Bowlby(1957) les enfants naissent avec un répertoire de comportements d’attachement qui visent à rechercher et maintenir la proximité avec des proches protecteurs et sécurisants, ce sont les stratégies d’attachement primaire.

L’attachement

Les théories de l’attachement

Les modèles Internes Opérants

Dès les premiers mois de la vie, les nourrissons intériorisent l’effet qu’ils produisent sur les autres en émettant des signaux d’attachement, et intériorisent les séquences d’interactions avec les proches.

L’enfant généralise les séquences d’interactions qu’il vit pour former des scripts que Bowlby (1969) appelle les modèles internes opérants (MIO). Ces modèles sont dynamiques et influencent la perception que le bébé a de son environnement affectif pour influencer son comportement. Ce sont des représentations mentales, conscientes et inconscientes, du monde extérieur et de soi à l’intérieur de ce monde, à partir desquelles l’individu perçoit les évènements, entrevoit le futur et construit ses plans.

Au fil des interactions avec la figure parentale privilégiée, l’enfant intériorise la relation et se forge un Modèle Interne Opérant qui englobe ses perceptions de lui-même et les attentes de sa figure d’attachement. Ce M.I.O. va servir de schéma mental pour ses relations futures. Ainsi, les M.I.O. se construisent à partir des échanges avec l’entourage familial qui permettent à l’enfant d’interpréter et comprendre les comportements de ses proches et d’anticiper les réactions d’autrui. Le Modèle Interne Opérant commence à s’établir entre 6 et 9 mois et se stabilise vers 5-6 ans. Sauf évènements de vie critiques (décès, maladies, ruptures, etc.), le M.I.O. reste le même tout au long de la vie. En 1983, Johnson-Laird (cite par Miljkovitch, 2001) affirme lui aussi que les modèles internes opérants permettent la survie de l’organisme par la possibilité d’adaptation, mais aussi d’anticipation de son environnement.

Afin de construire des catégories, Bartholomew & Horowitz (1991) partent de la vision que l’individu a de lui-même. Ils prennent en compte aussi la vision que l’individu a des autres. Le modèle de soi, ainsi que le modèle des autres peuvent se repartir sur un axe allant du positif au négatif.

  • Le soi positif représente le fait de se sentir digne de recevoir de l’amour et d’être un bon support pour les autres
  • Le soi négatif renvoie à la négation du soi positif.
  • Le modèle des autres se reparti également en positif et négatif. Les autres vus comme positifs sont considérées comme dignes d’amour, de confiance et perçus comme de bons supports. A l’inverse, les modèles des autres négatifs renvoient au fait de voir les autres comme douteux ou rejetant dans l’interaction. Quatre patterns découlent donc de cette conceptualisation.

Si la figure d’attachement échoue à répondre aux besoins de proximité ou n’est pas disponible, et donc ne soulage pas la détresse, alors l’individu n’atteint pas un sentiment de sécurité de l’attachement. Si, suite à des expériences déplaisantes répétées avec la figure ou les figures principales d’attachement, ce modèle devient insensible aux expériences changeantes ou inhabituelles, le comportement de l’enfant peut devenir rigide, inadéquat, voire pathologique. (Bertherton, 1992 ; Bertheton, Ridgeway et Cassidy, 1990 ; Crittenden, 1990).

Alors des représentations négatives des autres et de soi se forment et d’autres stratégies de régulation des affects que la recherche de proximité se développent : les stratégies d’attachement secondaires (Mikulincer, Shaver & Pereg, 2003).

les stratégies d’attachement secondaire

Les stratégies secondaires sont, quant à elles, mobilisées en cas d’échec des stratégies premières.

Celles-ci consistent en une réduction (stratégies de « minimisation ou d’inhibition ») ou une accentuation (stratégies de « maximisation ou d’hyperactivation ») des comportements d’attachement, permettant à l’enfant d’augmenter ses chances d’obtenir la proximité et le réconfort de sa mère, mais au prix d’une anxiété renforcée : l’enfant devient anxieux. L’inhibition des comportements serait favorable à l’attachement lorsque la mère ne supporte pas les demandes affectives de l’enfant, provoquant à l’inverse un rejet avec le désir de s’éloigner. Les stratégies de minimisation développées par l’enfant auraient alors pour effet de la soulager, et faciliteraient un rapprochement avec lui. L’attachement ainsi développé envers sa mère est qualifié d’insécure « anxieux/évitant ».

À l’inverse, un enfant ayant repéré que le réconfort ne peut être obtenu que s’il manifeste une détresse importante, aura tendance à augmenter progressivement ses signaux et à se focaliser sur les aspects alarmants de l’environnement mettant un frein à son exploration. L’attachement est qualifié d’insécure « ambivalent » (Miljkovitch, 2001).

Il arrive malgré tout que l’enfant échoue dans sa tentative de s’adapter au parent et d’élaborer une stratégie d’attachement cohérente. On parle alors de désorganisation (Main et al., 1988) qui correspond, comme nous l’avons antérieurement décrit, à un conflit entre deux stratégies incompatibles.

Les stratégies secondaires doivent être considérées comme des stratégies adaptatives et donc non pathologiques en soi, même si elles induisent plus de stress et d’anxiété. Par contre la désorganisation apparaît pour de nombreux chercheurs (Carlson, 1998 ; Dozier et al., 1999) être directement en cause dans l’émergence de troubles psychopathologiques.

L’attachement

Relation attachement et émotions

Les divers modèles théoriques d’attachement des adultes suggèrent que les stratégies de régulation des émotions développées au sein de la relation parent-enfant sont intériorisées par l’enfant et influencent par la suite les styles d’attachement des adultes (Bowlby, 1980, Kobak & Sceery, 1988).

Par exemple, les enfants qui auraient un style d’attachement évitant, qui ont des antécédents d’interactions avec une figure d’attachement éloignée, bloquent les états émotionnels qui activent leur système d’attachement, détournent l’attention des informations liées à l’émotion, inhibent les expressions verbales et non verbales des émotions pour faire face à des situations difficiles (Cassidy & Kobak, 1988). À l’âge adulte, l’utilisation de ces stratégies pourrait alors conduire à l’élaboration d’un style évitant. Les individus qui auraient un style d’attachement dit évitant sont généralement éloignés de leurs partenaires, ne sont pas à l’aise avec l’intimité et recherchent rarement d’autres personnes pour les aider à gérer leurs états émotionnels internes (Mikulincer & Shaver, 2007, 2008).

D’autre part, les enfants ayant un style d’attachement de type anxieux ou ambivalent intensifient et exagèrent leurs sentiments de détresse dans une tentative d’attirer et de maintenir l’attention de leur figure d’attachement incohérente. Pour faire face à leur détresse, les enfants adoptent des stratégies centrées sur les émotions négatives, c’est-à-dire sur l’auto-blâme, en se concentrant sur des scénarios négatifs potentiels, en faisant des évaluations catastrophiques et en réfléchissant (Cassidy et Berlin, 1994). À l’âge adulte, l’utilisation de ces stratégies émotionnelles est associée à un style anxieux d’attachement (avec le partenaire), caractérisé par des manifestations d’impuissance et de dépendance excessive envers le partenaire (Mikulincer & Shaver, 2007, 2008).

Selon Bowlby (1988), les modes de travail internes de l’attachement influencent également la résilience et la vulnérabilité de l’individu aux événements stressants de la vie, affectant par conséquent leur bien-être et leur santé mentale.

Par exemple, le mode de l’individu évitant les autres comme étant non fiables, associé à leur manque d’expressivité émotionnelle, peuvent potentiellement contribuer au développement de symptômes d’un état pathologique tels que la dépression, l’hostilité et l’abus d’alcool (Brennan et Shaver, 1995, Mikulincer, 1998), étant donné que les émotions négatives ne sont pas ouvertement communiquées aux autres mais plutôt supprimées (Mikulincer & Shaver, 2008). Le modèle négatif de soi de l’individu ayant un style d’attachement anxieux et l’utilisation de stratégies axées sur l’émotion peuvent également contribuer au développement de symptômes d’un état pathologique, y compris l’anxiété et la dépression (Lopez, Mauricio, Gormlry, Simko et Berger, 2001; Mikulincer, 1998). De nombreuses études simultanées à l’adolescence (Muris, Meesters, van Melick et Zwambag, 2001; Cavell, Jones, Runyan, Constatin-Page, & Valesquez, 1993) et l’âge adulte (Fortuna et Roisman, 2008, Lopez, Mitchell et Gormlsey, 2002) ; Mallinckrodt et Wei, 2005) ont montré que les styles d’attachement de type insécure sont associés à des niveaux plus élevés de troubles psychopathologiques. Bien que l’insécurité de l’attachement ne conduise pas nécessairement à des symptômes d’un état pathologique, elle peut représenter un facteur de risque important. (Carlson & Sroufe, 1995).

Pierre Humbert (2003) fait un lien entre le concept de stratégies d’attachement et la régulation émotionnelle. Selon lui, la stratégie primaire consiste en un modèle équilibré de l’activation et de la désactivation émotionnelle. En effet, face à une séparation qu’elle soit réelle ou anticipée, l’individu a un libre accès à ses émotions. Il peut chercher du réconfort auprès des autres (pour les plus jeunes) ou élaborer un travail mental (évocation, souvenirs, anticipation du retour, …) après avoir pu localiser la source de son anxiété. Cela lui permettra alors de contrôler et désactiver son anxiété afin d’affronter sereinement la séparation. On y observe alors une désactivation prématurée des émotions car l’individu détourne son attention des émotions. Cette action lui coupe donc l’accès à l’information concernant les sources d’anxiété. La stratégie secondaire correspond, à l’inverse, à un modèle déséquilibré. Dans ce cas, l’individu suractive la recherche d’informations relatives à son anxiété, ce qui entraîne l’irruption incontrôlable d’informations, de représentations, de souvenirs, et donc le maintien d’un niveau d’anxiété élevé avec une demande exagérée de réconfort, c’est-à-dire une situation d’hypervigilance émotionnelle. D’après Pierrehumbert (2003) il y aurait donc d’idée d’une transmission intergénérationnelle de la régulation des émotions, principalement par le biais des parents. En effet, les interactions avec la figure d’attachement principale représentent pour l’enfant un premier modèle de régulation des émotions : la façon dont le parent répond à l’éveil des émotions de l’enfant, la façon dont il gère son excitation, dont il désigne les affects qui sont partageables, acceptables ou ceux qui doivent au contraire être tus, réprimés, constituent autant d’informations guidant l’enfant dans la régulation de ses émotions. Néanmoins, les rencontres avec d’autres partenaires au cours de la vie, vont pouvoir modifier en retour ce modèle par des interactions différentes. Ainsi, cet auteur avance l’idée que les catégories d’attachement ne représentent qu’un aspect particulier des modalités générales de la régulation émotionnelle : les stratégies secondaires d’attachement représenteraient des cas spécifiques de régulation des émotions.