Introduction

Définition et théorie des émotions

Sander & Scherer, (2009) conceptualisent généralement l’émotion comme un phénomène multi-componentiel. Il faut donc comprendre que l’émotion se décompose en différentes composantes :

  • L’évaluation (cognitive) de l’élément déclencheur
  • Les réactions motrices qui accompagnent l’expression de l’émotion
  • Les modifications physiologiques, liées au système nerveux autonome
  • Les tendances à l’action
  • Le sentiment plus ou moins conscient qui va en ressortir

Selon Luminet (2002), l’émotion est un phénomène ou un état relativement bref, qui varie de quelques secondes à quelques minutes, provoqué par un stimulus ou par une situation spécifique.

À quoi ça sert ?

Les fonctions des émotions

une source d’informations

Pour Mikolajczak (2009a) étant donné que l’émotion n’apparaît que dans un contexte pertinent pour l’individu, elle est source précieuse d’informations en regard de nos besoins, nos buts et nos valeurs, et du rapport que nous entretenons avec eux.

Facilitatrice d’action

Les émotions s’accompagnent d’une tendance à l’action qui sera relativement spécifique à l’émotion ressentie (Frijda, 1986). Cette tendance à l’action a pour fonction de préparer au mieux l’individu à une réaction adaptée face à la situation. Dès lors l’émotion peut être entendue comme une aide à l’adaptation.

Un support à la décision

Ce phénomène s’explique par le fait que chez un individu normalement constitué, toute situation de choix, va s’accompagner d’une activation émotionnelle (Mikolajczak, 2009a). Les réactions physiologiques déclenchées par l’émotion serviront alors de repères à l’individu pour choisir la situation la moins risquée pour lui. Cette réponse est automatique et lui permet donc de faire des choix sans devoir réfléchir longuement aux avantages et inconvénients de chaque option. Ces réactions physiologiques peuvent être très discrètes, voire imperceptibles consciemment par l’individu lorsque l’activation émotionnelle est faible. Elles permettront néanmoins de faire un choix.

Indicateurs des intentions des autres et facilitatrices des interactions avec autrui

Au niveau interpersonnel, les émotions sont un indicateur rapide des intentions d’autrui. Elles informent aussi efficacement de l’état de notre relation avec autrui ou d’un changement dans l’environnement proche. Par ailleurs, les émotions exercent une influence importante sur les interactions sociales (Luminet, 2002). Les expressions du visage (hilare versus dégouté, par exemple) favoriseront ou décourageront les interactions. Le fait de ressentir de la joie sera également associé à une plus grande propension à la coopération alors que la tristesse invitera au retrait.

Les émotions sont donc de précieux indicateurs pour notre survie et notre adaptation. Elles montrent aussi l’impact des émotions sur nos actions, nos décisions et nos relations. Dès lors, on peut comprendre qu’elles affecteront également de façon importante notre perception du monde, nos raisonnements, nos apprentissages, etc. (Luminet, 2002). Les émotions ne déterminent pas le comportement mais préparent ou suggèrent une manière de réagir. La réelle fonction adaptative des émotions ne viendra donc pas des émotions elles-mêmes, mais bien de ce que nous en faisons, et tous les individus ne sont pas égaux à ce niveau. C’est précisément à cet endroit qu’intervient la notion de compétence ou d’intelligence émotionnelle qui sera développée dans les paragraphes suivants.

Intelligence émotionnelle

Les compétences émotionnelles

C’est à Mayer et Salovey (1990) que l’on doit la première définition du concept d’intelligence émotionnelle. Ceux-ci la décrivent comme « la capacité à identifier les émotions, à générer les émotions adéquates pour faciliter la pensée, à comprendre les émotions et à gérer ses émotions de manière à promouvoir la croissance émotionnelle et intellectuelle » (Mayer, Salovey et Caruso, 2004 p197 traduit par Mikolajczak 2009b). Ces processus concernent non seulement les émotions (ou sentiments) propres au sujet, mais aussi celles des autres individus.

Les états psycho-biologiques de nature émotionnelle constituent des prérequis essentiels à la formation de liens sociaux structurés et adaptés (Wallon, 1934). Ces états émotionnels, en tant que formes d’activités organisées, ont pour fonction d’assurer la régulation intra- et interpersonnelle de l’individu (Izard, 1990 ; Lemerise et Arsenio, 2000 ; Trevarthen, 1993). Ils participent ainsi à la structuration de la personnalité et à l’insertion de l’individu dans un milieu social. Tout dysfonctionnement dans ce domaine de compétences précoces entraîne des altérations plus ou moins sévères du développement, à la fois au niveau intra- et interpersonnel (Wallon, 1925 ; Cicchetti, Ackerman et Izard, 1995).

De nombreux auteurs ont étudié cette notion de compétences émotionnelles (ou intelligence émotionnelle). Je vais développer la théorie principale de Mikolajczak (2009).

Cet auteur (Mikolajczak, 2009) propose d’envisager le concept de compétences émotionnelles en trois niveaux différents :

  • Les connaissances : ce niveau se réfère à ce qu’une personne connaît des émotions
  • Les habiletés : il met en relief les capacités d’une personne à appliquer ses connaissances en situation réelle.
  • Le niveau de disposition (ou encore trait de personnalité) : il renvoie à la tendance naturelle d’une personne à réagir de telle ou telle manière face à une situation donnée. Ce niveau se focalise sur la réaction typique d’un individu face à une réaction donnée et non sur ce qu’il connait ou est capable de mettre en œuvre comme stratégie.

Ces trois niveaux interagissent entre eux et permettent de déterminer la localisation de ces déficits afin d’adapter au mieux la prise en charge thérapeutique.

Mikolajczak (2009) définit les compétences émotionnelles comme « se référant aux différences dans la manière dont les individus identifient, expriment, comprennent, utilisent et régulent leurs émotions et celles d’autrui ». Ces 5 compétences semblent former une base dont découlent toutes les autres.

IDENTIFIER ses émotions et celles d’autrui

L’identification des émotions ne pourra se réaliser qu’à la condition préalable que l’individu y soit ouvert, autrement dit qu’il accepte de ressentir des émotions. Pour identifier l’émotion, l’individu devra également posséder suffisamment de vocabulaire émotionnel. L’identification des émotions d’autrui reposera sur la capacité d’une personne à décoder les manifestations expressives, verbales et non verbales, associées à l’émotion. Il s’agira donc de décoder les expressions faciales, la posture, les gestes ou la tonalité de la voix qui accompagnent l’émotion chez l’autre.

COMPRENDRE les déclencheurs, les causes, les croyances et les besoins impliqués dans ses émotions et celles des autres

La compréhension des émotions (des siennes et de celles des autres) implique deux composantes: l’accueil des émotions et l’identification des besoins. Pour comprendre réellement ses émotions, l’individu doit nécessairement d’abord les accueillir.

EXPRIMER ses émotions d’une manière constructive et écouter celles d’autrui

L’expression de ses émotions comporte également comme prérequis la possession d’un vocabulaire émotionnel. Plus celui-ci sera étendu, plus un individu pourra le décrire avec facilité. Néanmoins, même s’il possède ce vocabulaire, le fait d’exprimer ses émotions n’est pas un acte neutre, car il produit un effet sur la relation que nous aurons tant avec nous-même qu’avec nos interlocuteurs. Dès lors, pour que le message passe, il faut qu’il puisse être jugé acceptable par l’interlocuteur. L’écoute de l’expression des émotions d’autrui repose sur la capacité d’accueil et d’écoute véritable des émotions d’autrui

RÉGULER ses émotions et accompagner les autres à les réguler

La régulation recouvre l’ensemble des processus par lesquels une personne va modifier son émotion, dans le but d’être capable de gérer le stress et les émotions quand la situation est perçue par le sujet comme inadaptée.

UTILISER ses émotions et s’appuyer sur celles d’autrui au service du bien-être et des objectifs communs

L’utilisation des émotions pour accroître leur efficacité au niveau de la réflexion, de la décision et des actions.

Garber et Dodge (1991) expliquent que les individus peuvent contrôler et transformer leurs expériences émotionnelles, soit par l’augmentation, le maintien ou l’atténuation des émotions positives ou négatives. Les différentes dimensions de la régulation émotionnelle qui en ressortent sont :

la conscience et la compréhension des émotions

l’acceptation des émotions

la capacité de contrôler ses impulsions et de poursuivre ses buts lorsqu’une émotion négative est éprouvée

la capacité de recourir à des stratégies de régulation émotionnelle appropriées lorsque la situation le demande afin de moduler l’activité émotionnelle, de sorte qu’un bon fonctionnement soit maintenu

Régulation

La régulation émotionnelle

Thompson (1994) définit la régulation émotionnelle comme un ensemble de processus intrinsèques et extrinsèques responsables de la supervision, de l’évaluation et de la modification des réactions émotionnelles en intensité et dans le temps, afin de permettre à l’individu d’atteindre un but particulier. Plusieurs auteurs ont étudié le fonctionnement de la régulation émotionnelle.

D’ailleurs, Gross (2008) a présenté un modèle de la régulation émotionnelle qui reprend une partie des idées développées par Thompson(1994).

Les différents processus de régulation pourront être associés à ces différents éléments, Par exemple, certaines viseront à modifier la situation elle-même ou tenteront à priori de ne pas s’y confronter tandis que d’autres moduleront l’attention qui sera portée à celle-ci. D’autres encore auront pour but de modifier nos perceptions, enfin une série de stratégies agiront au niveau de la réponse émotionnelle elle-même.

1. Les stratégies adaptatives

Les stratégies de régulation sont multiples. Certaines d’entre elles sont qualifiées de fonctionnelles, ce qui signifie qu’elles sont efficaces à court terme pour réguler l’émotion et sont associées à long terme à une meilleure santé physique et psychique. D’autres sont qualifiées de dysfonctionnelles, particulièrement parce qu’elles ont à long terme des effets délétères ou tout simplement qu’elles ne permettent pas de réguler efficacement l’émotion.

Ces stratégies reposeraient sur des capacités différentes et conduiraient à des modifications subjectives, physiologiques et comportementales distinctes (Gross, 1998a). Certaines stratégies seraient plus adaptatives que d’autres. Par exemple, la réévaluation cognitive, la plus étudiée parmi les stratégies de changement cognitif, qui permet de moduler l’intensité et la nature du ressenti, serait plus adaptée que la suppression expressive intervenant plus tard dans le processus de régulation pour modifier les aspects comportementaux sans nécessairement réduire l’expérience négative. La première serait donc cognitivement moins coûteuse que la seconde et ne produirait pas de dissonance entre le ressenti et l’expression. Les stratégies de régulation, lorsqu’elles sont adaptées, contribueraient de manière significative au maintien du bien-être et plus largement à la santé mentale.

2. Les stratégies non adaptatives

Philippot (2007) présente successivement quatre types de manifestations pathogènes de la régulation émotionnelle :

  • La suractivation émotionnelle : incapacité de contrôler l’intensité d’une/des émotion(s) et/ou la survenue d’une/des émotion(s) (les émotions sont trop intenses ou elles se déclenchent dans des situations qui ne les justifient pas)
  • La sous-activation émotionnelle (absence d’émotion d’origines diverses comme l’épuisement consécutif à un stress important, l’évitement des situations suscitant la/les émotion(s) concernée(s) ou le mode de fonctionnement dans certains troubles de la personnalité)
  • L’inhibition émotionnelle (suppression de l’expression et de l’expérience émotionnelle ou masquage d’une émotion par une autre émotion comme dans le fait de ressentir de la colère pour cacher de la tristesse).
  • Le déficit de compétence émotionnelle (incapacité à exprimer ses émotions de façon adaptée au contexte social comme savoir reconnaître les expressions émotionnelles des autres, savoir étiqueter et verbaliser ses émotions).

Baker & al. (2007) ont également répertorié différentes stratégies dysfonctionnelles :

  • L’évitement émotionnel (le sujet évite les situations qui suscitent les émotions redoutées),
  • La suppression (contrôle excessif de l’expérience ou de l’expression émotionnelle),
  • Les émotions non régulées (difficulté à contrôler son expérience ou son expression émotionnelle),
  • La pauvreté de l’expérience émotionnelle (détachement par rapport aux émotions, vécu confus de l’expérience émotionnelle incluant la difficulté à reconnaître ses émotions et ce qui les a déclenchées, la difficulté à reconnaître les signaux corporels des émotions et l’impossibilité de vivre les émotions comme un tout cohérent),
  • Les émotions non-traitées (caractère intrusif et persistant de l’expérience émotionnelle, au travers de pensées et d’images répétitives et intrusives).

De nombreux auteurs ont d’ailleurs cherché à étudier s’il y avait un lien entre ces stratégies de dysfonctionnelles et le type d’attachement des jeunes enfants. Wertz, Gauthier et Blavier (2012) mettent en évidence dans leur étude sur des jeunes enfants, que des troubles de l’attachement sont corrélés avec des difficultés de traitement de l’information. Marganska, Gallagher et Miranda (2013) observent ces mêmes liens entre l’attachement, les problèmes de régulation émotionnelle et le développement de trouble pathologique. Les résultats montrent que des niveaux d’attachements sécure sont associés à de faibles dysfonctionnements dans la régulation émotionnelle.